Voilà déjà plus de quinze jours passés avec Madidi Travel, entre Rurrenabaque, la ville où se trouve l’agence, et Serere, la réserve privée où se déroulent les tours, au confin de la forêt amazonienne (on l’appelle la Selva).

Mon volontariat chez eux consiste en deux parties. A Rurre, j’aide à rénover les locaux : peinture, nettoyage, intendance d’un peu tout. J’aide à la vente des tours, puisque l’agence fait la promotion de la protection de la forêt à travers des tours de trois ou quatre jours dans la forêt avec des guides indigènes qui connaissent tout des plantes et des animaux qu’on peut trouver. A Serere, j’aide à la vie de camp, et surtout, le meilleur, je suis les guides pour traduire leurs explications dans la forêt aux touristes.


Et une nouvelle fois, je peux te faire un topo façon vinyl 45 tours.

 


La Selva - FACE A


Comme tu me l’as parfois dit, je parle d’avantage des bonnes choses qui me sont arrivées que des mauvaises. Evidemment, puisque c’est ce qu’il me reste de plus fort en mémoire, c’est la trace que je veux garder de ce voyage. Mais voici aujourd’hui un petit compte-rendu de l’angoisse de la forêt.


Je m’étais préparée mentalement aux moustiques, qui m’ont pourtant dévorée sans relâche bien plus que je n’attendais, même à travers un jean, même en me baignant dans mon repellent bien toxique. Mais ils n’étaient pas les seuls vampires du coin : je n’avais pas envisagé un instant les millions de tiques qui ont envahi mes affaires ! Quelle plaie, c’est une angoisse, un enfer. Je les ai trouvés partout sur moi, chaque fois que j’en retirais un, j’en trouvais un autre. A en faire des cauchemars. Leurs morsures toutes petites et par dizaines me grattaient tellement, je voyais le singe à côté de moi et je me sentais comme lui. Une pouilleuse, voilà ce que j’étais. Et, avec l’équipe, on se tapait tous mutuellement dessus pour tuer un moustique qui rode, on se regardait les jambes pour détecter un nouvel insecte qui s’accroche. Une scène qui me semblait pitoyable, inimaginable, mais qui pourtant est petit à petit devenue tristement normale dans la selva.

En plus de ces horreurs dont il faut s’accommoder, il y a les fourmis. Une fois un guide m’a montré une espèce et m'a dit "celle-ci ne pique pas". Ce devait être la seule, une rareté à souligner. Les autres sont surnommées avec des chiffres qui représentent le nombre d’heures pendant lesquelles la piqûre te fait souffrir. Par chance il y a quelques plantes qui calment vite la douleur. La #24 mesure plus de 2cm c’est incroyable !


Outre les petites bêbêtes terribles, il y a aussi eu un moment durant lequel je n’ai pris aucun plaisir. En forêt, les tribus indigènes se nourrissent de ce que la nature leur donne. Et sur la réserve, il y a cinq lacs, sur lesquels on peut pêcher les piranhas et autres horreurs du genre. Je n’aurais pas pensé détester autant cette activité ! Les poissons pleurent, et surtout, ils sont coriaces : dès que tu les pêches (cela, ok, c’est marrant), tu dois les achever, et même avec quatre coups de couteaux dans la tête et le ventre grand ouvert, ils ne meurent pas !! Mais quelle AngOisse !!! Je vivais le retour de morts-vivants en live. Un grand moment de solitude puisque j’accompagnais un groupe de jeunes qui adoraient pêcher.


Le reste des choses incommodantes à considérer dans la forêt, relevaient plus du domaine du confort pour moi. Ces choses qui sont banales et qui, lorsqu’elles manquent, se révèlent importantes. Du style : les portes : oublie toute forme d’intimité dans la jungle, il n’y en a aucune. Même sous la douche, moment où j’aurais été certaine de me trouver seule pendant cinq minutes, eh bien non, il y avait toujours un phacochère ou une bête pour rentrer et venir boire l’eau savonneuse pendant que je me lavais. A me faire fumer par les oreilles ! Et bonjour la discrétion des conversations… Un autre exemple ? L’électricité : diner aux chandelles tous les soirs sans voir ce qu’il y a dans l’assiette, pipi dans le noir sans être sûre qu’il n’y ait pas une tarentule dans le coin… Ou encore, le arroz con carne ou yuca con pescados, dès 7H du matin. Accroche-toi l’estomac, y’a du café les jours de fête. Un dernier exemple puis j’arrête là, le miroir : tu as quinze boutons de moustiques sur le front et tu ne comprends pas pourquoi les copains se marrent quand ils te croisent.

 


La Selva - FACE B


Fort heureusement, il y a de très nombreux bons aspects à rester un mois dans la jungle. Le plus facile à évoquer d’abord, c’est le soleil et la température. Quel bonheur après un mois dans le froid, de pouvoir me promener en short, d’apprécier les douches fraîches et les baignades improvisées dans le fleuve, de voir dans les rues déambuler les familles sur les motos, de vivre dans une végétation riche de ses fruits si sucrés et si bons.


En arrivant à Rurre, l’impression agréable d’une petite ville tranquille pour les vacances est très forte. La vie y est simple et douce. J’adore. Les tâches à l’agence me sont faciles et je prends plaisir à vendre, à conseiller, à rénover. L’ultime bonheur que je rencontre ici, c’est un petit singe rescapé de la chasse, dont j’ai dû m’occuper quelques jours avant de le rendre à mère nature. Une mini boule d’amour, de fort caractère, de douceur qui me manque déjà. J'espère qu'il va trouver une famille qui l'adoptera et avoir une belle vie de singe...



En arrivant ensuite à Serere, après trois heures de navigation sur le fleuve Beni, l’impression d’un petit paradis dans la forêt s’impose également. La végétation est tellement belle, avec ces palmiers géants, ces arbres pluri-centenaires, ces lianes tortueuses, ces fleurs tropicales… Les cabanes où l’on vit sont camouflées dans le décor, et sont situées près d’un lac, appelé San Fernando, sur lequel le coucher de soleil est vraiment sublime.

A peine débarquée du bateau, les gens qui travaillent dans la réserve m’apparaissent comme sympathiques et pleins d’humour. Il y a un chemin d’une petite demi-heure de marche jusqu’à la Casa Grande où nous vivons. Et sur ce petit chemin, tu peux voir déjà mille animaux différents : singes capucins, singes hurleurs, singes araignées, singes écureuils, paresseux, fourmis qui travaillent ardemment à découper les feuilles, perdrix, perroquets, martins pêcheurs, colibris, tapirs, phacochères… Epoustouflant ! La réserve a cet effet génial de constituer à la fois une explosion de vie de toutes formes, et un lieu serein et tranquille pour se ressourcer. C’est une chance inouïe de se trouver sur le lieu de vie d’animaux fantastiques. J'ai l’impression chaque minute d’être dans ma télé sur Arte avec National Geographic… en mieux !


A cette question qu’on m’a posé qu’est ce qui t’a le plus marqué sur cette expérience dans la forêt, j’avais mille réponses et en voici quelques-unes :

1.      D’abord pardon mais, putain, hay un tapir en el jardin !!! C’est incroyable de se lever et de voir un tapir devant sa cabane ! Et de faire comme si tout était normal. Y’a un tapir, et même deux. Et aussi un agouti dans le placard, un phacophère qui nous suit comme un chien, et un singe araignée qui mange nos bananes.

2.      Le ciel la nuit, sans lune, avec ses millions d’étoiles. La voie lactée, si profonde, si brillante et si noire à la fois, avec ses étoiles filantes, et qui se reflètent, romantiques, sur le lac. Un spectacle silencieux qui m’a empêché de dormir plus d’une nuit. Je n'avais encore jamais eu l'occasion de la voir si nettement, dans toute sa beauté et toute son immensité.

3.      L’esprit rieur et le cœur léger des gens qui travaillent pourtant dur sur le camp. Quelle leçon de vie : du matin au soir sans interruption, j’entendais leurs rires insouciants résonner plus haut que le vol des perroquets. Leur gentillesse, leurs blagues, m’ont chaque jour touchée et donné du bonheur. Je me permets de te les présenter: Fatima, Daniel, Sulma, Daniela, Choko, Polako, Eddy, Jerry, Jairo, Amilcar, Alex, Severo, Juan, John, Guido, Elio, Amalia et Julie Coni Zoe Carol.

4.      La connaissance illimitée qu’ont les guides sur la forêt, ses plantes, ses animaux. C’est stupéfiant. Sans eux ni leur savoir impressionnant, nous ne survivrions pas longtemps dans ce milieu hostile et sauvage.

5.      L’opulence, l’abondance, la profusion d’animaux que j’ai pu voir. Chaque jour j’ai découvert une nouvelle espèce. Je ne me rends pas compte encore de la chance que j’ai eu de croiser ces caïmans, ces toucans, ces serpents qu’on croirait sortis d’un Walt Disney, ces énormes chauves-souris, ces oiseaux aux couleurs exceptionnelles, ces tarentules qui déambulent sur mes mains, ces lucioles qui veillent la nuit…


Vivre ici un mois m’enrichit énormément : de nouveaux amis, des rencontres inoubliables, une conscience écologique grandissante, des occasions uniques de vivre de vraies expériences dans la jungle, énormément de nouvelles connaissances sur la forêt, sur les peuples qui y vivent, sur moi-même aussi bien sûr, et de nouveaux objectifs qui se dessinent petit à petit dans ma tête.


... Et je te raconte tout cela déjà et c'est pas fini !